La Grande Porte

Les trois hommes faisaient face à la porte de fer. Immense, magistrale, impressionnante, elle était probablement déjà là à l’époque du grand-père de Milan et du grand-père de son grand-père. Ce qui se trouvait de l’autre côté faisait l’objet de rumeurs incroyables. Certains racontaient qu’elle cachait un trésor, des millions de pièces d’or, des rubis, des diamants… d’autres pensaient qu’elle dissimulait cette fameuse fontaine de Jouvence dont les livres parlaient. Sur sa façade était gravés des mots que personne ne savait lire. Tous les traducteurs du pays s’y étaient risqués sans jamais réussir à décrypter l’étrange langage.

Milan dirigeait cette équipe d’archéologues depuis bientôt dix ans. Fasciné par les cités antiques, il exultait d’avoir pu mettre la main sur pareil trésor. Et malgré toutes les fouilles qu’il avait entreprit au cours de sa vie, toutes les recherches qu’il avait supervisées, cette découverte-ci, celle qu’il avait devant les yeux, n’était pourtant que le fruit du hasard. Des gosses, deux frères, en jouant aux billes, avaient fait tomber leurs calots au fond d’une fissure minuscule dans la roche. C’est lorsqu’ils avaient raconté à leur père que le trou devait être très profond puisqu’ils n’avaient pas entendu l’impact des billes sur le sol que les choses avaient vraiment démarré. Le père des deux gamins, c’était Alvar Virtanen, l’éminent écrivain. Fort de sa notoriété, il avait un réseau d’amis parmi lesquels comptait Milan Kiimamaa et c’était tout naturellement qu’il lui avait écrit pour lui demander s’il ne se trouvait pas justifié de pousser en avant quelques recherches archéologiques sur le site en question.

Il avait fallut huit années pour creuser aussi profondément. Huit ans pour établir des galeries suffisamment larges pour qu’un homme puisse s’y tenir debout et suffisamment profonde pour gagner la grande porte. Et aujourd’hui, Milan et son équipe allaient enfin la franchir. Depuis dix mois, un bataillon du génie civil se relayait pour percer le mécanisme de la porte. Pour qu’elle soit aussi épaisse et solide, le trésor qu’elle renfermait devait forcément être fabuleux, et Milan, même s’il n’avait jamais été gagné par la cupidité, ne voyait pas d’un mauvaise œil l’idée de faire fortune.

Quand elle céda enfin, ce fut un mélange de surprise et de déception. Une forte odeur métallique couplée à des émanations terreuses fit reculer les explorateurs qui ne se risquèrent à revenir qu’après s’être équipés de masques. Il y avait là un long corridor. Une sorte de coursive à la droite et à la gauche de laquelle se trouvait empilés là comme des casiers métalliques qui semblaient eux-mêmes verrouillés dans les règles de l’art.

Il fallut un an de plus pour venir à bout du mécanisme des casiers, et c’est peu après que les gens commencèrent à tomber malade. Milan et son équipe furent parmi les premiers à ressentir des symptômes. Vomissements, perte de cheveux, douleurs abdominales, diarrhées, hémorragies. Les corps des explorateurs semblaient se décomposer comme des cadavres cependant que leurs cœurs battaient encore. On parla de malédiction.

Quelques temps plus tard, on finit par déchiffrer l’inscription à l’entrée de la porte. C’était une langue morte depuis des décennies. De l’ancien finnois, du temps du moteur à explosion et des débuts de l’informatique, bien avant le grand effondrement. Il était écrit « Vous qui entrez ici, vous ne trouverez que mort et désolation. »

Trois milles ans après qu’elle ait été scellée, une bande d’explorateurs inconscients avaient rouvert la porte du site d’enfouissement de déchets nucléaires d’Onkalo, en Finlande.